Plus ou moins facilement rapportées aux expressions les plus profondes et les plus centrales de la foi chrétienne, nos coutumes religieuses peuvent témoigner à leur manière d’une fidélité à l’Eglise dont on se réclame. Elles doivent nous orienter vers les réalités plus essentielles, il serait dommage qu’elles les occultent.
Il en est ainsi des rameaux. Selon la liturgie, ils sont bénis au début de la célébration qui commémore l’entrée de Jésus à Jérusalem peu de temps avant sa Passion. Après cette célébration, qui ouvre la Semaine sainte, les rameaux sont portés sur les tombes familiales ou attachés aux crucifix à l’intérieur des habitations.
Cette année, il n’y aura pas de procession des Rameaux. D’autres gestes peuvent être suggérés, par exemple en placer à notre porte ou à une fenêtre. Comme déjà depuis plusieurs dimanches, les prêtres célèbreront la messe sans assemblée et les autres fidèles du Christ s’associeront aux offices retransmis par divers médias. Et notre regard pourrait se porter davantage vers la Croix, vers le crucifix qui se trouve au mur de notre salon ou de notre chambre par exemple. Nous arrive-t-il d’y prêter vraiment attention ?
« Ils lèveront les yeux vers Celui qu’ils ont transpercé » : l’évangéliste Jean cite ce verset du prophète Zacharie au terme de son récit de la Passion, après le coup de lance du soldat et avant la mise au tombeau. De même que le serpent de bronze avait été élevé par Moïse dans le désert et que ceux qui levaient les yeux vers lui étaient guéris de la morsure des serpents (Cf. Nombres 21, 8-9), de même il fallait que le Fils de l’homme soit élevé pour qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. (Cf. Jn 3, 14)
Comment donc le regard porté sur le Crucifié peut-il être salutaire ? C’est que l’enchaînement d’intrigues, d’injustices, de mensonges, de lâchetés et de violences qui conduit Jésus à la mort est surmonté, brisé, défait par le débordement de miséricorde dont il fait preuve en ne répondant pas à la violence par la violence, par le ressentiment ou l’appel à la vengeance. Jésus fait de sa mort un acte de liberté et nous révèle l’Amour de son Père. En sa chair est rompue la spirale de la violence qui détruit l’humain et ravage l’humanité. Il insère en notre monde une logique qui n’est pas de ce monde, la logique de l’Amour désarmé qui veut et crée un monde réconcilié. En sa chair crucifiée, il a tué la haine, dit saint Paul (Cf. Eph 2,17). Il est le Visage de la miséricorde du Père.
Ne regardons plus le crucifix avec un regard habitué. Tentons d’imaginer les pensées de celles et ceux qui ont vécu la terrible journée du Vendredi saint, ceux qui ont suivi de loin, ceux qui en ont été partie prenante, badauds, gardes et soldats, disciples, femmes de Jérusalem, femmes au pied de la croix. Comment percevaient-elles, comment percevaient-ils – très confusément sans doute - que par Lui, avec Lui, en Lui, ils et elles allaient se découvrir, réellement et toujours davantage, appelés à aimer comme il les avait aimés, à se donner comme il s’était donné. Sa résurrection et le don de son Esprit nous ouvrent ce chemin sur lequel Marie nous précède. Cela vaut pour tous : « L’Esprit saint offre à tous, d’une façon que Dieu connait, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Concile Vatican II) Aujourd’hui comme hier, et tout spécialement dans les circonstances présentes, il ne manque pas de gestes fraternels humbles et simples, généreux et désintéressés qui nourrissent l’espérance.
« Regarde les bras ouverts du Christ crucifié, écrit le pape François, laisse-toi sauver encore et encore. Ses bras sur la croix sont le signe le plus beau d’un ami qui est capable d’aller jusqu’à l’extrême : Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Cf. Exhortation apostolique Il vit, le Christ, n° 123 et n°118)
Le 4 avril 2020
+ Robert WATTEBLED
Evêque de Nîmes
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